Vous avez peut-être entendu parler du récent conflit entre la NBA et la Chine, suite au tweet d’un directeur général d’une équipe de la ligue1. Peut-être avez-vous sinon remarqué la campagne publicitaire lancée l’an dernier par Nike, mettant en vedette l’ex-quart-arrière de la NFL Colin Kaepernick2? Ces deux événements n’ont à priori rien en commun mis à part le sport. En fait, ils sont deux exemples de situations où une organisation (Nike et la NBA) est confrontée à un conflit de nature politique.
Le premier cas commence lorsque le DG en question a posté un tweet dans lequel il affirmait son appui aux manifestants de Hong Kong dans la crise qui l’oppose actuellement à la Chine. Cette dernière étant un partenaire majeur et un marché très important pour la NBA, il s’en est suivi un déluge de toutes sortes de réactions de la part de plusieurs partenaires chinois, allant jusqu’à la suspension complète de certaines ententes commerciales.
Le second cas débute lorsque Kaepernick (commandité par Nike), alors quart-arrière évoluant dans la NFL (un partenaire de Nike depuis 2012), est devenu l’instigateur et la face d’un mouvement de protestation contre l’injustice subie par certaines minorités ethniques aux États-Unis. La situation s’est complexifiée lorsque Kaepernick s’est retrouvé sans contrat et qu’il a entamé des procédures judiciaires contre la NFL, accusant les propriétaires d’équipes d’avoir fait collusion pour l’exclure de la ligue2.
Ces deux cas sont parfaits pour illustrer la prudence et le discernement dont doivent faire preuve les dirigeants d’une marque à rayonnement international lorsque celle-ci est exposée à un conflit de nature politique.
On ne cesse de le dire, l’information se propage à une vitesse sans précédent, faisant en sorte que les gens sont informés plus que jamais, et que leur opinion sur un sujet peut changer très rapidement. J’aimerais donc saisir l’occasion pour partager mon opinion sur les particularités que présentent de pareilles situations en m’appuyant sur ces deux exemples forts intéressants.
Les éléments à considérer.
Pour commencer, il est important de bien comprendre les enjeux ainsi que les principaux partis impliqués. Cet exercice est crucial afin de bien comprendre qui, au sein du grand public, sera préoccupé par les enjeux. Par la même occasion, il sera utile d’identifier les liens entre la marque et les parties prenantes, car certaines relations peuvent être plus importantes ou fragiles que d’autres.
Ensuite, on doit confronter l’enjeu aux valeurs de la marque. La marque étant de plus en plus définie par ses valeurs, il est essentiel que les actions de l’entreprise soient en constante harmonie avec ses valeurs. Le cas contraire signifierait que les valeurs ne sont qu’une façade et risquerait fortement d’endommager la réputation de la marque et de s’aliéner plusieurs adeptes.
Enfin, on doit intervenir rapidement, mais de façon planifiée. Il faut s’assurer que toutes les communications convergent vers le même objectif et éviter qu’elles ne viennent de plusieurs directions. On veut un message puissant et ferme, exprimé en provenance d’un point central, par exemple sous forme de message publicitaire ou d’un point de presse d’un haut dirigeant. Le plus important est d’uniformiser et de synchroniser les communications afin éviter toute controverse additionnelle pouvant découler d’un message discordant.
Maintenant, revenons à nos cas.
Dans un premier temps, et bien que Nike ne fût pas impliquée directement, l’entreprise s’est retrouvée au milieu du conflit entre la ligue et Kaepernick, au moment même où elle devait prendre une décision concernant le contrat de commandite de celui-ci. Nike devait choisir entre renouveler le contrat d’un quart-arrière qui ne joue plus au football, ou laisser le contrat expirer et terminer ses activités avec l’athlète. D’un point de vue social, soit la marque supporte les revendications de Kaepernick, soit elle se détache complètement de la situation.
La décision de Nike démontre l’importance de bien analyser la situation avant d’agir. Le mouvement lancé par Kaepernick est de ceux qui font partie de l’évolution générale de la société vers une prise de conscience face aux enjeux concernant la discrimination envers les minorités. Nike avait donc l’occasion de se positionner comme avant-gardiste dans un milieu qui demeure relativement conservateur, soit le sport. De plus, la marque a toujours été très populaire auprès de plusieurs groupes minoritaires qui s’identifient à Kaepernick, étant eux-mêmes souvent victimes d’injustices semblables. Ils sont dans un certain sens allés au-delà de leur slogan « Just do it » en supportant un athlète qui a l’audace de s’exprimer publiquement sur un sujet dérangeant, malgré les critiques et les risques.
Du côté de la NBA, le problème initial vient du fait que le premier message est venu d’un individu et non de l’organisation elle-même. Ensuite, la ligue n’avait pas pris de position au moment du message alors que le conflit ne la concernait pas directement, mettant celle-ci dans une position délicate quant à la suite des choses. Face à cette situation, trois choix sont possibles :
- Assumer le commentaire du DG et du même coup affirmer leur appui aux protestants.
- Rejeter les propos du DG.
- Maintenir le statu quo et tenter d’éteindre le feu en s’excusant auprès de la Chine sans toutefois prendre position ni sur le conflit ni sur le commentaire du DG.
Chaque choix, bien entendu, comporte des risques. D’un côté, il y a la Chine et tous ses partenaires financiers qui veulent des excuses, de l’autre, il y a les fans américains qui prônent la liberté d’expression, en plus d’être d’accord avec les revendications de Hong Kong. Au centre, le statu quo qui, dans certains cas, peut représenter le pire scénario s’il advenait que la réponse ne plaise à aucun parti. Néanmoins, la NBA se doit de répondre puisque le silence ne fait que nourrir les spéculations.
Le futur risque de présenter bien d’autres conflits politiques, qui offriront autant d’occasions et de défis aux marques présentes à l’international. Il sera très intéressant de voir si elles oseront saisir l’occasion en prenant position, acceptant par le fait même les risques inhérents, ou si elles préfèreront opter pour la sécurité du statu quo et simplement minimiser les dommages.
Références :
¹ https://www.businessinsider.com/nba-china-feud-timeline-daryl-morey-tweet-hong-kong-protests-2019-10
3 https://www.nytimes.com/2018/09/26/sports/nike-colin-kaepernick.html